Patrice Collazo, le retour du Père Fondateur

Fraîchement nommé manager en chef du Racing 92, il y a deux semaines, Patrice Collazo se déplacera à Marcel-Deflandre avec les Ciel et Blanc ce samedi à 16h30. Un match crucial pour deux équipes, aux objectifs distincts, mais toutes les deux malades et en quête de confiance. Retour sur l’entraîneur considéré comme le pionnier du jeu rochelais.

Le Stade Rochelais et Patrice Collazo, c’est l’histoire d’un vieux couple divorcé, qui a décidé d’emprunter des chemins différents, mais lorsqu’ils se recroisent ne peuvent pas s’empêcher de ressasser le passé. L’idylle aura duré sept ans, de 2011 à 2018. Cette belle, triste et intense histoire d’amour a eu des (très) hauts mais aussi des (très) bas. Elle s’est soldée dans le conflit.

Pourtant, malgré son image de meneur d’homme à la grande gueule, antipathique et imposant, Patrice Collazo est un bâtisseur qui a besoin de temps pour forger un groupe et le guider dans ses excès, ses doutes et ses euphories. Du temps, il en a eu à La Rochelle. Arrivé en 2011, avec un certain Uini Atonio dans ses valises, il doit prendre les rênes d’un club descendu de Top 14 et en fin de cycle avec son duo d'entraîneurs Serge Milhas et David Darricarrère. Lui qui n’a jamais eu d’expérience en tant que manager en chef et qui restait simplement l’entraîneur des avants des espoirs du Racing 92.

Son président Vincent Merling va lui confier les clés du camion pour le sportif et lui octroyer du temps pour reconstruire l’équipe, pendant trois saisons en Pro D2. « C’est un luxe de travailler au Stade Rochelais, apprécie le manager de 42 ans, lors de sa présentation. Quand on donne les clés à quelqu’un, la moindre des choses, c’est de le laisser aller au bout des choses. L’addition de talents est une force. Quand les choix de recrutement ou de composition d’équipes sont imposés, ça ne peut pas marcher. Ou seulement temporairement », poursuit le président.

Passion, construction et ambition

Durant ses trois saisons, Collazo s’est appuyé sur les cadres du vestiaire (Djebaïli, Grobler, Ferrou, Jacob) tout en recrutant des futures références à leurs postes (Goujon, Gourdon, Murimurivalu, Botia…). « Il m'a poussé au cul, il a toujours tout fait pour que j'aille le plus haut possible », reconnaissait le troisième ligne Kevin Gourdon, un de ses tauliers qui l’a mené jusqu’au XV de France.

Le groupe arrive à maturité lors de sa troisième saison sur le banc des Jaune et Noir. Le club fait son grand retour dans l’élite en 2014. La patte de Patrice Collazo à La Rochelle, c’est d’emmener le club, les joueurs, le public et toute la ville derrière lui. Avant que le Stade Rochelais ne devienne l’équipe flamboyante dans le jeu en 2016-2017, le club s’est d’abord maintenu lors des campagnes précédentes, grâce à une générosité incroyable et à une solidité en conquête. La réception de Toulon le 25 avril 2015 sera le point d’orgue de cette période.


Pour mener à bien son projet, Patrice Collazo ne manquait pas d’ambition. La force du Stade Rochelais est de franchir les étapes les unes après les autres, sans les brûler. Dans un long entretien accordé à Sud Ouest, pour les 10 ans de la montée, le natif de La Seyne-Sur-Mer, évoque « une stratégie sportive et une stratégie de développement qui ont eu un impact sur sa progression (du club NDLR). Tout est allé à la même vitesse. Les planètes étaient alignées, mais on a tout fait pour qu’elles le soient. Les dirigeants, le sportif, l’administratif, les supporteurs, tout le monde y a mis du sien ».

Et il n’hésitait pas à bousculer les habitudes « Je suis fier d’avoir mis dans la tronche des mecs, de tout le monde, supporters, dirigeants, joueurs, que le Stade Rochelais pouvait jouer, exister, rivaliser et gagner le Top 14, martèle l’ancien pilier. J’en avais marre qu’on se considère comme le petit. Le Stade est un club centenaire, j’en avais marre qu’on lève le doigt pour parler, même s’il ne faut pas parler à tort et à travers. Il fallait se faire respecter, ne faire allégeance à personne, embarquer les gens dans cette histoire de dingues, un peu à contre-courant des mentalités du Stade qui a des valeurs faites de détermination, de respect, qui a la volonté de ne pas franchir les lignes. »

Une personnalité clivante

Patrice Collazo est un sacré manager, mais aussi, un sacré bonhomme au quotidien. Il ne reniera jamais ses principes et sa vision des choses, ce qui le conduira à quitter le navire maritime à la fin de la saison 2017-2018, après que des tensions aient éclaté en interne.

Certains diront que c’était égoïste de sa part, que son tempérament autoritaire a conduit le Stade Rochelais à une crise brutale. D’autres diront que c’était généreux, pour que le club et ses dirigeants puissent trouver une nouvelle alternative et un nouvel élan pour débuter la prochaine saison.

Car une chose qu’on n’enlèvera pas à Patrice Collazo, c’est qu’il mettait le Stade Rochelais au-dessus de tout. Cette institution pour laquelle il se levait tôt et se couchait tard, et qui lui valait d’être à fleur de peau dès qu’il avait le sentiment qu’elle n’était pas assez respectée. Il touchait à tout, à croire qu’il était un président-entraîneur.

Des “non”, il en a distribué. À l'Équipe de France, d’abord. En décembre 2017, lorsque son nom et celui de Xavier Garbajosa étaient cités pour épauler Jacques Brunel, il renvoya sèchement le président de l’époque Bernard Laporte. En décembre 2023, il est revenu sur cet épisode pour Midi Olympique : « En plus, c’est vrai, j’avais été un peu cinglant avec Bernard Laporte dans le passé. C’était le 24 décembre 2017, il était président de la FFR et il m’avait parlé de l’équipe de France… J’avais trop de respect pour le staff en place et pour Guy Novès, qui allait se voir écarté (de ses fonctions de sélectionneur, NDLR) quelques jours plus tard… Et j’étais bien implanté à La Rochelle, j’avais donc été un peu sec. Lui aussi, d’ailleurs. On en est resté là. »


Aux journalistes, également, lui qui interdisait à Canal+ l’accès aux vestiaires, contrairement à d’autres managers. Aux agents de joueurs aussi, si un joueur voulait venir à La Rochelle, le Varois avait le dernier mot et ne laissait rien passer durant les négociations. Aux supporters, qui n’avaient pas accès aux entraînements, contrairement à aujourd'hui. La Ligue Nationale de Rugby en a aussi pris pour son grade, notamment pour les obligations de se présenter devant la presse.

Enfin, il y a les joueurs. Toujours dans l’exigence, à vouloir l’excellence, détestant la défaite, une partie du vestiaire jugeait ses méthodes trop dures, ce qui l’a conduit à sa perte de contrôle. Certains de ses joueurs en ont payé les pots cassés : Vincent Pelo, Jérémie Maurouard, Brock James, Rene Ranger ou Jean-Charles Orioli. Pas de passe-droit.

Il n’aura pas gagné de trophée avec le club à la caravelle, mais, Patrice Collazo aura laissé une trace indélébile dans l’histoire du Stade Rochelais. Ses principes, sa vision et ses défauts ne sont pas sans rappeler un manager irlandais, un certain Ronan O’Gara


                                      Simon Bourdolle

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